mardi 26 avril 2016

Merci Patron. Tout est joué

Merci Patron est un film du réalisateur François Rufin. Celui ci est aussi le directeur du journal Fakir et l'auteur d'une quantité de livres depuis 2003 et " les petits soldats du journalisme" critique de son expérience à l'école de journalisme du CFJ. Il a travaillé plusieurs années aux côtés de Daniel Mermet au point de le défendre dans les colonnes de son propre journal lorsque le producteur de là bas si j'y suis sur France Inter  fut attaqué sur sa conception de la gestion du personnel. 

Merci Patron est un film dédié à son combat contre Bernard Arnault, l'une des plus grandes fortunes de france. Il est soutenu ( selon Wikipédia)  par des parrains tels que Frédéric Lordon, Jean Gadrey, le Monde Diplomatique, Acrimed, ATTAC. Ce n'est pas rien. Mais  il a aussi eu droit à une hostilité plus ou moins avouée du groupe LVMH. Ce qui est encore mieux.

La première partie n'est en réalité qu'une simple mise en jambes,  Bernard Arnault vient alors justemment d'annoncer qu'il demande la nationalité belge, pour payer moins d'impôts. Rufin, comme d'autres prêchent le faux pour savoir le vrai, prêche le dialogue social hollandiste pour constater la lutte des classes. Au volant de son fourgon, paquet de chips à portée de main, il part à la rencontre d'un agent des impôts belge, d'ex déléguées syndicales d'entreprises démantelées par Bernard Arnault. A chacune et chacun il tient le même discours faussement candide " Bernard Arnault est un entrepreneur brillant. Il suffirait de le rencontrer pour que tous vos soucis soient réglés". Il enrôle tout ce monde pour venir à l'AG des actionnaires porter aussi le cas de la famille Klur, Jocelyne et Serge avec leur fils Jérémy qui se retrouvent chômeurs à 400 euros par mois. Malgré toute cette bonne volonté Rufin est éjecté manu militari de l'Assemblée Générale des Actionnaires de LVMH. Il a fait la démonstration que la conciliation et la dialogue ne mènent à rien. Pendant ce temps la famille Klur se retrouve toujours sans emploi et menacé par un avis d'huissier qui lui réclame 30 000 euros sous peine d'expulsion de leur seul bien, une maison avec jardin.

        Les voilà donc face à ce Bernard Arnault qui a été dépeint comme un patron sans le moindre scrupule, capable de mentir aux salariés pour pouvoir mieux les virer ensuite. Contre un adversaire pareil tous les coups sont permis, A manipulateur, manipulateur et demi. Rufin va alors construire un piège pour obtenir de Arnault de quoi sauver les Klur et leur maison. Nous laissons au lecteur le soin de découvrir dans le film de quoi il s'agit. Avouons juste que l'entourloupe est brillante et qu'elle a même ce côté toujours réjouissant du petit l'emportant contre le gros. Sauf qu' un film ne se juge pas simplement sur ses notes d'intentions. Merci Patron est le premier film de Rufin. Les premiers films sont  pour leur réalisateur comme un examen, l'occasion de démontrer enfin leur talent. De ce côté Rufin ne ménage rien, apparaissant presque sur chaque plan pour démontrer son génie à mettre en scène. Il apparait presque sur chaque plan et pour ceux qui restent on sent bien que c'est  lui-même qui les a orchestré jusqu'à cette scène dans la maison des Klur. Ceux ci répètent sous la direction de Rufin. On pourrait remarquer en passant l'étonnement de voir des personnes répéter une scène dans un documentaire. On peut aussi voir que ce que les Klur jouent là, c'est un rôle. C'est un rôle de Klur imaginé par Rufin.  Ce n'est plus la spontanéité de Jocelyne et Serge Klur, c'est Jocelyne et Serge Klur qui se prêtent à la mise en scène et aux désirs de Rufin qui reprend Jocelyne quand elle ne saisit pas les subtilités de son plan génial. Les Klur sont acteurs, donc ils sont joués. C'est un tour de passe passe que Rufin va vouloir signer en jouant le rôle de Jérémy. Cette substitution ne semble pas avoir d'autre motif que le désir de Rufin de montrer son talent à prendre tous les masques. Dans le film on l'aura vu succcessivement en pyjama, tenue de ville, tenue de marié, tenue de jérémy, chapeau mexicain. Ce talent. Devant un tel talent, un tel bagout, quelqu'un qui vous offre la perspective  de sauver votre maison d'une saisie et un CDI à la Noël beaucoup se prêteraient à bien des comédies. 

Mais j'avoue avoir éprouvé un certain malaise à découvrir, saisi par la caméra cachée dans la maison des Klur, cette scène entre l'émissaire de Arnault et le couple Klur qui est celle qu'ils ont répété. Ce qui nous y est offert ce n'est pas juste de contempler la victoire des Klur c'est de vérifier leur docilité au plan.  Rufin va même ensuite jusqu'à demander à la déléguée syndicale CGT et à Joceyne Klur de jouer une scène dans le seul but d'illustrer un dialogue au téléphone.

Chacun est bien libre de voir dans ce film la revanche d'un petit contre le gros. Somme toute nos motifs de réjouissances en la matière sont si rares qu'on peut vouloir les prendre partout. On peut aussi remarquer combien l'aptitude magistrale de Rufin à manipuler s'exerce  à l'encontre de tous ceux dont il a besoin. La mise en scène est  aussi une affaire de morale.