vendredi 23 août 2013

Si c'était grave

La journée s'écoulait, sans plus d'ennui que d'ordinaire. Les saisonniers donnaient à la ligne où je m'étais retrouvé des airs de monôme étudiant. Nous étions Jeudi Vendredi et guettions la fin de journée de l'atelier découpe qui le plus souvent annonce la nôtre avec une heure d'avance. Déjà nos collègues passaient pour ranger les bacs, tandis que je tendais sur son passage une main distraite à Pollux, avec qui je partage le fait d'être titulaire, de n'avoir jamais grimpé le moindre échelon et un goût coupable pour le calembour foireux,
 il se pencha pour serrer la mienne tout en me glissant

" Il a quoi comme problème, l'autre?  Il vient de me mettre une main au cul. " puis poursuivit sa route.

J'allais alors vers celui qu'il visait, étudiant saisonnier venu comme d'autres passé son été à travailler en usine.

" Tu viens de mettre une main au cul ? "


 "Euh ben ouais, c'est la vie quoi "

" Ben non ce n'est pas la vie. Tu vas aller t'excuser s'il te plait "


Il ne me dit pas non. Je n'attendis donc pas qu'il ne me dise oui, appelé ailleurs, certain qu'un garçon aussi vif  comprendrait son erreur.

Le lendemain je recroisais Pollux

" Alors, il s'est excusé ? Comment çà s'est passé ? "

" Ben non, il ne m'a rien dit pourquoi ? "

Quelques instants plus tard je croisais au moment de la petite pause Main au Cul dans le vestiaire des hommes

" Dis toi, quand je t'ai parlé de t'excuser  pour ta main au cul je parlais très sérieusement "

Main au cul

" Ben pourquoi, c'est pas grave, de toute façon je ne suis pas gay "

Je montais le son

" Je te résume le truc " On ne mets pas la main au cul des gens " C'est du monosyllabique. C'est pourtant pas compliqué "

C'est à cet instant que je réalisais être en présence de l'assemblée solidaire des mâles dominants huchant de concert

" Mais d'où tu lui parles comme çà "

" T'es jaloux que ce ne soit pas à toi qu'on ait mis la main au cul ? "

" Oh ca va, il y a des trucs plus graves. Il y a du sang qui coule dans le monde "

J'aurais pu ici répondre que travaillant dans un abattoir, le sang qui coule n'avait pas de quoi nous surprendre. Je préférais quitter la place pour en appeler aux compétences du chef d'atelier,  puisque les miennes ne suffisaient pas. Revenu à l'atelier je me plantais devant la porte du bureau où le chef guettait le retour de la pause des retardataires

" Eh dis, c'est normal que Main au Cul ait foutu la main au cul de Pollux ? "

Il me regarda, éberlué

" De quoi tu me parles ? "

" Je te dis que hier, Main au cul a foutu une main au cul de Pollux. Je voudrais  savoir si c'est normal "

" Ben s'il est d'accord. De toute façon on voit tellement de choses, de nos jours "

" Mais ca va pas bien. Je te parle de harcèlement là ! "

C'est à peu près à cet instant que le chef interpella Pollux qui était à son poste de travail, sur la chaîne.

" Eh Pollux ca va pas bien, qu'est ce qui te prends d'embêter tout le monde avec çà "

" Mais c'est du délire là. C'est Main au Cul qui as foutu une main au cul et c'est Pollux qui se fait engueuler ? "

A ce moment le reste de l'atelier revenait de pause et contemplait notre échange, n'en saisissant visiblement pour ma part que le côté Dramaqueen. Voyant alors que mes efforts étaient vains je choisis de tirer ma révérence

" Si c'est comme çà, je prends ma journée "

Derrière moi j'entendis la voix du chef

" Jean philippe si tu t'en vas je passe çà en absence non justifiée "

Le motif de ma sortie de scène me paraissait pourtant assez évident

Le lundi matin je revins au travail comme si de rien puisque personne ne m'interrogea sur l'épisode.  Lorsque j'allais voir Pollux pour savoir comment il allais, il me répondit d'un " Bof " en me racontant les quelques remarques caustiques que tout ceci lui avait valu.

" Mais tu vas en parler aux élus du personnel quand ils seront revenus de vacances ? "

" Oh. Tu sais, je le ferais, si c'était grave ".



"

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