( Edit : Cet article est paru précédemment en Juin 2012 sur un autre blog. Il se trouve que j'y suis attaché pour d'assez naïfs motifs d'ego mais aussi que c'est une tentative, dérisoire et ridicule de rendre hommage aux 147 salariés de l'usine Doux de Pleucadeuc qui se sont eux aussi retrouvés à la chôme.
Relisant cet article et repensant à cet époque je me rends aussi compte combien Mme
Iacub ne comprend pas ce dont elle parle.
Le suicide n'est que la partie émergé de cette bataille qui se perd.
Postulons, postillons
Combien d'ouvriers somatisent, développent des ulcères ou d'autres problèmes de santé parce qu'ils sont sommés de " prendre sur eux" et s'exécutent (!) . Ceci ne rentre que bien peu dans les statistiques. Sauf quand il faut les accuser de creuser le trou de la sécurité sociale. Pour les quelques fois que j'ai pu apercevoir Mr Charles Doux à la télévision il semble porter beau )
S’il
n’y avait ces arbres je pourrais sans doute apercevoir l’usine Doux de
chez moi. Elle n’a semble t-il pas tellement changé depuis que la direction du Groupe a décidé en 2008 de la fermer, mettant 451
salariés au chômage. Par une suite d’heureux hasards, une succession de
circonstances, j’ai échappé à ce plan social. Pour autant j’ai eu
l’occasion de travailler dans cette usine. C’est en partie là que j’ai
découvert monde du travail et délices du salariat
La
première fois que j’ai travaillé dans cette usine j’étais encore
étudiant et ce ne devait être qu’un job d’été. Le pays de Locminé offre
assez peu d’opportunités en la matière.
Quel
effet cela m’a-t-il fait de passer devant mon ancien collège qui lui
fait face ? J’ai croisé parfois certains de mes anciens camarades
d’école au travail. Penser qu’il avait fallu seulement quelques années
pour traverser la rue, certaines vies semblent setenir sur peu d'espace. Quand nous étions au collège la mode fut un moment de prendre
l’usine comme un raccourci pour rentrer chez nous de la traverser en
bicyclette en zigzaguant entre les poids lourds dont les chauffeurs
pilaient pour nous éviter. Ceci nous passa bien vite.
J’ai
donc consciencieusement complété mon formulaire, remplissant mon état
civil, sans doute légèrement amusé de devoir dire à 19 ans que j’étais
bien célibataire, cochant distraitement la case précisant que je n’avais
aucun membre de ma famille parmi le personnel de l’entreprise ( ce qui
à bien y réfléchir ressemble à de la discrimination ), niveau d’étude,
le bac, disponibilités durant les 3 mois d’été et coordonnées qui
étaient encore celles de mes parents.
A
l’époque Doux pratiquait les contrats à la semaine ( Considérant qu’un
CDD peut durer jusqu’à 18 mois, limite légal au-delà duquel il devient
automatiquement un CDI cela représente alors 78 feuillets 21/ 29,7 )
comprenant durée du contrat, nom de la convention collective
correspondante et si j’ai bonne mémoire l’existence d’une période
d’essai, que l’on signait en double exemplaire le lundi et dont on
glissait le nôtre dans la poche arrière du jean. Un collègue me déclara
qu’il avait assez de tous ces contrats pour tapisser tout son logement,
mais il est vrai que son salaire ne lui permettait pas de se payer autre
chose qu’un studio. Mais il n'y a somme toute que banquiers, assureurs et propriétaires à distinguer entre CDD et CDI.
Pour
autant Doux finit plus ou moins par abandonner en partie ces pratiques
pour se tourner vers les agences d’intérims. Sur Locminé, ville de 3 800
habitants, chef lieu d’un canton de près de 11 000 habitants si je ne
me trompe, nous en avons compté jusqu’à 5, dont l’une quasi
exclusivement orienté sur l’agro-alimentaire. Elle nous faisait remplir
des tests de sécurité tenant du jeu du 7 erreurs où il fallait repérer
tel ouvrier qui passait sous une échelle, tel autre qui jouait, oh le
vilain, sur la pale de son transpalette électrique. A y penser l’erreur
la plus flagrante sur ces dessins consistait en ces sourires enjoués de consommateur de bedeau. Il ne nous reste plus que 4 de ces
agences. C’est une perte dont je suis encore inconsolable.
Dans
l’atelier j’ai travaillé le plus longtemps au bridage des dindes.
Celles-ci ayant été au préalable tuées par électro narcose, dépouillées
de leurs plumes, éventrées, vidées, décapitées et amputées des pattes.
Il ne nous restait plus qu’à saisir le corps du volatile encore chaud et
pouvant peser de 4 à 8 kgs, plier l’extrémité des pattes d’un geste sec
en sentant les os craquer pour les passer sous la bande de peau dans
son postérieur et bloquer le tout en glissant dessous le croupion. Tout
ceci en à peine quelques minutes, 8 heures par jour du lundi au vendredi.
Par jour ce devait être plus ou moins 30 000 dindes qui passaient entre
nos mains. Ce n’était pas l ouvrage le plus pénible ni le plus
difficile parmi ceux proposés (!). J’ai eu l’occasion de me retrouver à
l’accrochage des dindes vivantes. Celles-ci arrivaient dans des camions
contenus à plusieurs dans de petites cagettes. Les camions s’arrêtaient
dans un hangar. Nous ouvrions les cagettes pour saisir les dindes.
Celle-ci ayant voyagées quelques kilomètres dans un espace clos avaient
libérées leurs humeurs. Les sortir de la cage nous offrait un mélange
de fiente et de plume en plus d’un bruit continuel. Mais même ce poste
n’était que peu de chose face à celui de ramasseur. Ceux-ci devaient se
rendre la nuit d’un poulailler à l’autre pour entasser les dindes dans
ces cagettes ( étant entendu que le temps de trajet n’est le plus
souvent pas compris dans le temps de travail ).
Au
boulot je me suis dans l’ensemble plutôt bien entendu avec mes
collègues. Il y avait quelques autres CDD dans l’atelier. Certains
avaient déjà eu l’occasion de travailler dans les autres entreprises du
secteur, ou bien avaient eu des CDD durant jusqu’à 7 ans dans la même
boite. Ils comparaient avantages et inconvénients de chaque entreprise
du secteur. C’est ainsi que j’ai appris que Doux était la seule où le
self faisait payer l’eau qui n’était disponible que sous forme de
bouteille. Le self était géré par la CGT. La branche agroalimentaire de
la CGT fait partie de l’opposition à Bernard Thibault, considéré comme
trop conciliant vis-à-vis du patronat. La pingrerie devait leur sembler
une des voies de la lutte des classes.
J’ai
ainsi effectué quelques contrats en tant qu’étudiant. Ces études ne
donnant pas les résultats escomptés, ou pour le dire autrement n’y
donnant pas les efforts supplémentaires je me suis retrouvé de nouveau à
travailler à Doux tout en espérant passer un concours administratif
catégorie B ou C. L’usine était déjà dans la ligne de mire de cabinet
d’audit. Pourtant elle avait célébrée son ouverture vers le Brésil qui
paraissait pleine de perspectives prospères. Elle faisait aussi partie
des entreprises qui recevait le plus de l Union Européenne au titre de
la PAC pour les primes de restitution ( Le Canard Enchainé a chiffré au
total à 1 milliards d’euros le montant reçu par Doux de l’UE ). Cette
astucieuse mesure permettait aux industriels de l'agro alimentaire de
faire compenser par l'Union Européenne le différentiel entre le prix du
marché international et leur prix de revient pour favoriser les
exportations à l'étranger.
J’ai
fini par trouver en 2008, grâce aux départs en retraites, un poste en CDI
à Ronsard à Bignan, autre entreprise d’agro alimentaire. Nous
évoquions de temps en temps les autres entreprises du secteur, dont Doux
qui n’embauchait plus tant de CDD. Mais la crise de l’agro alimentaire
touchait toutes les entreprises. La nouvelle de la fermeture de l’usine
de Locminé m'arriva comme à chacun, par la presse au mois de Juin 2008.
Quelques mobilisations sporadiques eurent lieu. Une manifestation se déroula en septembre dans les rues de Locminé à l'appel de la CGT. Le député UMP local répliqua dans la Gazette de Locminé du 20 Septembre 2008 à ceux qui avaient critiqués son inaction passée en les qualifiant de "fossoyeurs d'entreprises". L'activité parlementaire de Mr Gérard Lorgeoux durant ses 10 ans de mandat m'ont fait mesurer combien il y a de nuances entre le rien et le pas grand chose. La fermeture du site fut avancée de quelques semaines, mesure annoncées aux salariés parfois par un simple coup de téléphone informant de ne pas venir le lendemain. Ce fut une belle preuve de délicatesse de la part du Groupe de ne pas troubler les salariés accoutumés à sa brutalité par une délicatesse soudaine.
Quelques mobilisations sporadiques eurent lieu. Une manifestation se déroula en septembre dans les rues de Locminé à l'appel de la CGT. Le député UMP local répliqua dans la Gazette de Locminé du 20 Septembre 2008 à ceux qui avaient critiqués son inaction passée en les qualifiant de "fossoyeurs d'entreprises". L'activité parlementaire de Mr Gérard Lorgeoux durant ses 10 ans de mandat m'ont fait mesurer combien il y a de nuances entre le rien et le pas grand chose. La fermeture du site fut avancée de quelques semaines, mesure annoncées aux salariés parfois par un simple coup de téléphone informant de ne pas venir le lendemain. Ce fut une belle preuve de délicatesse de la part du Groupe de ne pas troubler les salariés accoutumés à sa brutalité par une délicatesse soudaine.
Charles Doux d'après ce que j'ai pu en lire, s'est retrouvé ces derniers mois dans cette situation pénible de ne pas pouvoir décider du destin de son groupe par lui même. Je voudrais lui dire combien les salariés de son groupe comprennent fort bien ce sentiment, celui que l'avenir appartient aux patrons dont les ouvriers se lèvent de bon matin ( tout en sentant à chaque fois qu'ils se couchent ). Il est vrai que l'agro alimentaire est un secteur où les marges sont toujours faibles, ce qui explique sans doute pourquoi Mr Doux n'est devenu que la 146 ème fortune française. Je ne sais ce qui va advenir de cette fortune. Ceux qui l'ont produit n'y auront, je le devine, pas droit.
Au travail
Vie d'ouvrier
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