le
Fiction : Assemblage subjectif de faits réels, dont certains n'ont pas été inventés.
La douleur le réveilla. Il était en chien et en sueur sur son lit. Il avait égaré sa nuit, sentait cette sorte de rouille d'usure et de fatigue sur ses muscles. Il ne parviendrait pas à se rendormir. Ni à se réveiller. Cet entre deux de foireux. Temps que cette semaine aussi s'achève. Il n'était que 5 h du matin.
La douleur le réveilla. Il était en chien et en sueur sur son lit. Il avait égaré sa nuit, sentait cette sorte de rouille d'usure et de fatigue sur ses muscles. Il ne parviendrait pas à se rendormir. Ni à se réveiller. Cet entre deux de foireux. Temps que cette semaine aussi s'achève. Il n'était que 5 h du matin.
La
cafetière fumait. Il s'installa avec sa tasse face au velux pendant que sa platine passait Ring of fire de Johnny Cash en sourdine. En se
contorsionnant un peu contre le mur il pouvait trouver une position
ou il ne morflait pas trop. Au loin il apercevait les lumières des
éoliennes sur la colline voisine. Un mec lui avait raconté un jour
combien ils avaient des problèmes avec les chauve-souris. Ces
bestioles avaient pourtant des radars. Mais comme elles volaient en
groupe, elles avaient tendance à faire confiance à la voisine pour
veiller au grain et débrancher le radar, comme on déconnecte la
Wi-fi. Les éoliennes ne figuraient pas encore dans leur GPS, elles
se prenaient l'obstacle dans la gueule. Donc pour protéger les
éoliennes il fallait leur démontrer que le danger pouvait être
mouvant, qu'il fallait savoir bien l'identifier sous des masques, garder une vigilance collective,
que c'est autant toi qui protège le groupe que le groupe qui te
protège. C'est vraiment rien que bête une chauve-souris. Ce serait
une histoire à raconter à la gamine ce WE. L'appart' était pas
trop mal rangé. Elle aurait bien quelques trucs à mettre en dawa.
Il décida d'aller au boulot à pied. Il avait bien le temps, ça ne
commençait qu'à 7 h 30. Et il n'avait pas encore de quoi faire
réparer sa voiture.
C'était
la pleine lune, à cette heure ci il n'y avait que quelques chats
dans les rues et il ne croisa même pas de poids lourds. La reprise
devait se lever plus tard.
Quand
il arriva en salle de pause il y avait déjà 3 caristes qui se prenaient un
café en attendant les premiers camions.
«
Alors comment que c'est, t'es venu à pattes? Tu te mets au sport
sous la pluie maintenant?»
«Boh
il ne pleut pas. Juste un peu de bruine quoi.»
«
T'as eu de la chance. Il y a eu une saucée hier soir. T'aurais bien
pu te la prendre»
«
Mais non, c'est calmé. On aura juste un un peu de crachin
Le
mécano arriva, mine chafouine, farfouillant dans son bleu de travail
pour trouver de quoi s'offrir un café au distributeur
«
Ils vont me faire foller. Sérieux. Devinez sur qui je viens de
tomber, l'autre du service qualité qui me dit qu'elle ne m'a pas vu
me laver les mains, je viens de le faire dans les toilettes elle me
dit qu'il faut que je le refasse dans le couloir pour qu'on me voit
s'il y a un audit des services hygiène »
« Tu
sais très bien que si on loupe un audit, la boîte risque de cabaner
et on va tous se retrouver à la chôme »
«
Mais bordel de cul si c'est pour me faire voir tant qu'on y est je
peux bien faire payer des tickets. Au lieu de me les courir ils
feraient mieux tous de passer à l'atelier 42. Sérieux, tu connais
la dernière ? La sortie de secours comme deux tordus l'ont
utilisés comme raccourci le chef l'a barré « pour raison de
sécurité » Une sortie de secours. Sérieux. Ils vont me faire
foller. Tiens, regardez la dernière note de service de la direction.
C'est sympa»
Il
sortit de sa poche une feuille chiffonnée qu'il étala sur la table
pour pointer du doigt du doigt deux lignes soulignées au rouge sous
les yeux de ses collègues
«
Notre entreprise investit dans
la qualité humaine en recrutant 3 cadres venus de la concurrence.
Les rumeurs de plan social sont donc parfaites et non avenues.»
« Ils
sont forts »
« C'est
la secrétaire qui a tapé ça ? »
Même
si c'est la secrétaire le directeur l'a signé. Mais c'est pas sa
première fois.
Ils
viennent de la concurrence, quelle boîte?
« Furinoir »
« Nan
Furinoir c'est chez nous, c'est juste une filiale »
T'es
sûr ? Si c'est la même boite que nous pourquoi ils portent pas
le même nom ?
Nan,
mais je crois que c'est une boite qu'ils ont racheté parce qu'elle
faisait pareil ou alors ils en ont créé une pour faire autre
chose. Je sais pas trop »
Il
était déjà près de 7 h 30. Il quitta ses collègues pour partir bosser
Arrivé
dans l'atelier il réalisa que Ahmed et antoine étaient absents. Il
interpella l'élue du CHSCT.
«
Mais il n'y a pas de mecs avec moi sur la ligne ? Je vais
tourner avec qui moi ? T'as vu l'état de mon dos ? »
«
Oh Mille-malheurs ça va bien, pleure toujours, tu pissera moins !
Depuis le temps qu'on vous dit au syndicat qu'il faut réorganiser
les postes pour qu'ils ne soient pas séparés entre ceux des hommes
et des femmes. Vous êtes bien contents les mecs d'être les seuls à
porter les bacs, du coup il n'y a que vous comme conducteur de ligne
dans cet atelier. Quand on ne sait pas être solidaires avec le groupe faut pas s'étonner quand ça te tombe sur le rab personnellement »
Il
se mit à son poste, soulever des bacs pour les poser sur les rails
qui les entrainaient jusqu'aux collègues qui mettaient les produits
en carton. Ça tirait dès le début. Chaque bac pesait au moins 10
kg et la ligne tournait bien à 200 bacs à l'heure. A la fin de la
matinée il avait un mal de chien aux épaules. Il profita de la
pause du midi pour aller s'allonger dans le parc. Il ne lui restait
plus que 4 heures à tirer. La semaine l'achevait. Arthur lui raconta
comment il avait obtenu une prescription du médecin pour un corset.
Revenu
au boulot à 13h ça allait un peu moins pire. La ligne tournait
moins vite puisque les ordinateurs ramaient pour obtenir les
commandes. Ça lui permettait de souffler un peu. Au bout d'un
moment, il se posa contre la palette dans la position où il morflait
un peu moins. Il pensait à sa fille, ce Week-end avec elle serait
une friandise, trop bon, trop court, elle engloutirait les
pâtisseries, voudrait qu'il mette tous ses vinyles, contemplerait la
façon qu'ils avaient de danser sur la platine, lui raconterait ses
séances chez l'ortho à se mettre les mots du bon côté et garder
son nom bien propre.
«
Ah. Je vois que ce n'est pas difficile pour tout le monde. Vous vous
reposez bien ? On se la coule douce ? »
Le
sourire de Xavier Bertrand sur la tronche de M Drumond Il ne l'avait
pas vu arriver, ce devait être un cadre, vu sa blouse blanche.
«
Mais la ligne est arrêté. Je me contente d'attendre que ça
redémarre »
« Je
vois que vous avez envie de jouer. Je vais vous dire. Je suis le
Numéro 2 de cette entreprise. Je peux vous dire que je sais plus
jouer que vous. Vous allez me voir »
Le
mec se barra à grandes enjambées, moulinant avec ses bras avant de
rentrer dans le local de l'atelier.
Vers
15 h son chef d'atelier passa, se lissant la moustache
«
Bon. Toi tu as fini ta journée. Tu peux rentrer. »
«
Mais je n'ai fait que 6 h !! Tu sais bien que je veux prendre
des RTT pour le RDV de ma gamine chez l'ortho. Si tu me bouffe déjà
mes heures ça va pas le faire »
«Oh
c'est bon. De toute façon vu comment tu avance aujourd'hui c'est ce
que tu as de mieux à faire. Et puis on verra bien ce jour là. Pour
aujourd'hui tu rentre. C'est bon »
Sorti
des bâtiments il s'arrêta un instant pour habituer ses yeux au
soleil qui était au plus haut à cette heure ci. Il tapota sur son
portable pour voir ses messages. Il avait un SMS d'alerte de la
banque postale pour son découvert. Derrière lui il entendit
quelqu'un, marchant vite et parlant fort. Il se retourna, c'était
Mme Damoizeau la députée socialiste et son attaché parlementaire
qu'il avait souvent croisé lors de la campagne.
Elle
lui tendait la main, aussi souriante et énergique que d'ordinaire.
« Tiens.
T'es sorti tôt »
« Euh
ouais. Y a pas trop de boulot ces temps ci. Mais je ne savais pas
que tu passais. Personne m'avait dit au syndicat »
« Oh
je suis juste passé rapide voir la direction pour faire le point. Je
ne vais pas avoir le temps de passer au CE. Tu vas par où toi ? »
«
Je passe à l'école, récupérer ma fille. »
«
Je vais te déposer. C'est sur ma route pour la permanence »
Ils
montèrent tous deux dans le Break. Mme Damoizeau parlait toujours
aussi vite et aussi fort en martelant parfois le volant
J'ai
vu votre nouveau directeur tu sens qu'il a envie de se mobiliser. Et
les nouveaux bureaux sont bien fonctionnels. Tu les a vu ? »
« Euh
non je ne vais pas souvent dans les bureaux en fait »
« Tu
dois bien passer quelque fois au CE quand même ? »
«
Euh ouais mais le local du CE est dans les préfabriqués depuis 6
mois parce qu'il fallait refaire les locaux »
«Oh.
Oui enfin tu sais les élus du CE, ils sont un peu comment dire un
peu laborieux. Ils ne se rendent pas compte qu'il il y a un travail
capital aujourd'hui. Si on veut respecter le programme du Bourget il
faut restaurer la compétitivité des entreprises. Faut en finir avec
les tabous. Baisser le coût du travail, réduire les charges. Faut
tous se mobiliser ensemble quoi »
Il
ne répondit rien. Son siège était moelleux. Il luttait un peu
contre le sommeil.
Ils
étaient déjà arrivés près de l'école. Mme Damoizeau le déposa
avant de redémarrer en trombe.
Il était plus qu'en avance, choisit de regarder ses mails sur son smartphone. Un mail d'une agence de voyage s'affichait, lorsqu'il l'ouvrit il vit l' image d'un couple enlacé sur son fond de coucher de soleil
avec ce slogan " Faire de votre séjour des journées merdeilleuses ". Il soupira en fermant l'onglet.
Les grappes d'enfants sortirent en trombe de la cour de l'école
juste après la sonnerie pour sauter dans les bras de leurs parents ou s'engloutir directement
dans des voitures. Sa fille trainait pour une fois derrière, la mine boudeuse ,
tirant d'une main sur son pull qu'il devrait encore raccomoder et sur son cartable à roulettes derrière elle. Lorsqu'il
l'appela elle s'arrêta pour ouvrir son cartable et en sortir une
enveloppe qu'elle lui tendit solennellement
«
Mme m'a donné çà pour toi »
C'était
un courrier de l'administration scolaire. Il parcourut rapidement les
circonvolutions d'usage avant d'en arriver au propos
«
M dans le cadre d'une enquête nous avons demandé aux élèves
de remplir un questionnaire concernant leur parents. Il se trouve que
sur une question concernant la profession du père votre fille
a mis pauvre dans la case. Nous vous informons que vous avez
la possibilité de contacter l'assistante sociale si votre situation
le nécessite et vous demandons dans quelle
catégorie socio-professionnelle nous devons vous
mettre. »
Il
demanda à Leïla de lui donner un stylo, pris son 4 couleurs Hello
Kitty et barra le courrier de 5 mots en lettres rouges avant de le
glisser dans la boite aux lettres de l'école Tristan Corbière et de
glisser à sa fille que ce Week-end commençait par un passage à la
pâtisserie
«
Mettez
moi tous
en
colère »
Ce texte est dédié aux colères insatiables.
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