Ce jour là, je pestais . Le Théâtre National de Bretagne, entreprenant son ravalement de facade, avait généré un grand chambardement . Les spectacles ayant été délocalisées dans des salles périphériques, il m'avait fallu vingt minutes pour trouver sur le plan des lignes de la STAR comment me rendre à " Place Royale " . Dans le bus je n'avais même pas une place assise et devais me cramponner à la barre pour ne pas tomber. C'est cette vigilance qui me fit entendre une jeune fille qui s'informait auprès du chauffeur de l'arrêt correspondant au Théâtre. J'aurais donc au moins des compagnons d'infortune me dis je, reluquant dans son dos sa chevelure chaton foncé. Nous étions encore à deux arrêts de notre destination lorsqu'elle fit mine de descendre. La voyant sur les marches je lancais
" Vous vous trompez, c'est l'arrêt suivant pour aller au Théâtre ".
"Elle se retourna pour me sourire
"Merci, je suis un peu perdu je crois. Comme je viens de m'abonner et je crois que c'est un nouveau lieu je ne connais pas et puis il faut bien dire que c'est loin du centre d'ailleurs je n'avais jamais pris cette ligne....."
En plus d'être souriante elle était donc volubile. Nous échangeâmes quelques formules cordiales. Le bus s'arrêta Station Corbière. Je lui fis signe que c'était la bonne. Sur les quelques mètres nous menant au Théâtre on se fit les présentations. Elle poursuivait un mémoire "*Parapluie, attribut du comique chez Chaplin, outil du burlesque chez Tati et signe du tragique chez Angélopoulos " sous la direction du Professeur Grédron.
J'étais allé à la fac' mais m'en étais sorti . J'étais maintenant DanDylettante et un futur écrivain, prétendant saisir le réel par un grand jeu d'artifice, m'étant choisi un nom de plume, Ostinato, le nom de l'ami imaginaire de mes 18 ans.
Sorti du théâtre, nous allâmes prendre un verre dans un troquet. Elle me parla de sa vie, ses projets, ses goûts, évoqua les auteurs russes. J'étais à domicile, citais la litanie de mes slaves Gontcharov, Tchékhov, Grossmann, Dostoievski, Pelevine, Prilepine, dit de Gogol que toute la littérature russe était sorti de son manteau, de Pouchkine qu'il était bien surfait, que pour le cinéma il ne fallait pas s'arrêter à Eisenstein mais qu'il y avait Barnet aussi...."
"Ah moi en cinéma j'aime beaucoup Godard, pour son sens du montage, et puis aussi Kubrick bien sûr parce que c'est le metteur en scène stratège qui parvient à poser ses règles face aux studios, et puis les premiers films d'Egoyan son sens du puzzle dans le récit, son utilisation de la vidéo, ceux de Carax pour sa cinéphilie qui sauve son cinéma de l'autisme , certains de Greenaway, l'oeuvre de Edward Yang pour la mélancolie qu'il accorde à chacun de ses personnages, Max Ophuls, les rôles de Pierre Richard, la moustache de Jean Rochefort ... tant d'autres..."
Ah, nous étions fait pour nous attendre.
Le lendemain je trouvais sur Facebook une demande d'ami qu'il ne me restait plus qu'à confirmer. Nous frayâmes donc dans ce terrain de jeu .Elle y était, insaisissable, pouvait pour un oui ou pour un non lâcher un laconique " C'est bien çà ..." à cette vidéo qui m'avait demandé presque un WE de recherches sur le net
puis quelques mois de silence passé, me lancer tout à trac un "Bon anniversaire .... Toi " avec ce discret accompagnement
avant de se livrer à un claviardage frénétique. Pour ma part, même si je ne l'aurais échangé contre rien au monde, je restais soupirant, coulé dans la position de l'aimant. Comme mes congénères le savent bien, elle se situe précisément un quart d'heure avant la déclaration d'intention délictueuse. Je savourais donc ce moment des possibles ou rien ne m'était interdit puisque l'on ne m'avait encore rien refusé.
Tout ceci dura, des jours et des semaines s'écoulaient et un peu de moi aussi.
Il me fallait bien me résoudre à rompre le suspense. Elle revenait de ses vacances, passé à Barcelone, le 6 Septembre. Je l'invitais le jour même à passer chez moi . D'habitude nos retrouvailles se passait " t'amène les chips et moi le Banga ". Cette fois ci j'avais décidé de passer au mode romantique, qui n'est jamais que le flonflon qu'on mets à la formulation de nos désirs. Je n'avais reculé devant rien, lumières tamisées et bougies, Tiramisu agrémenté d'amaretto et accompagné de Jurançon,musique qui, comme le disait mon neveu fait des bisous, Al Green, Barry White, Macy Gray, Portishead ou Christophe au choix
Je l'entendis arriver dans l'escalier pendant que par une sorte de réflexe inconscient je farfouillais de mon smartphone sur son Facebook et c'est à l'instant précis où elle fit claquer ma porte que par un simple clic je lus qu' elle venait de modifier les informations sur son profil, alors qu'elle lancait dans le couloir de l'entrée cette formule rituelle " Comment tu vas bien mon petit poney ?" qu'elle m'avait réservée, que je saisis que Camillia était dorénavant passée du vestibule de" célibat " à l'entrée au salon "en couple" , avec un bellâtre qui arborait sur sa photo de profil une caméra de dimension tout à fait respectable.
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