Nous sommes le mercredi 21 Octobre 2020. Sur le plateau de l'émission 28 minutes Pascal Bruckner plumitif accuse Rokhaya Diallo d'avoir "armé le bras des assassins de Charlie Hebdo" Sur le plateau personne ne condamne son propos. Rokhaya Diallo se retrouve donc seule face à une personne l'accusant d'avoir inspiré des meurtres.
Sur les réseaux sociaux j'ai vu plusieurs personnes se présentant comme faisant partie du public fidèle de l'émission faire part de leur stupéfaction. Pas ca. Pas vous Elisabeth Quin. Comme si tout ceci échappait totalement au cours d'une émission placé sous le signe de la bienveillance et des pulls flashy qui ont même inspiré un compte Twitter. Alors que bon.
Regardons ensemble le dispositif de l'émission. 28 Minutes est une émission de la société KM Production, faisant partie du groupe Banijay appartenant à Stéphane Courbit et qui produit aussi notamment TPMP. Elle est donc présentée par Elisabeth Quin. Selon sa fiche Wikipédia elle ci a commencée sa carrière de journaliste dans les années 80 à la radio puis à la TV sur des émissions à teneur culturelle avec une prédominance pour le cinéma. Avant de parvenir à la présentation de 28 minutes elle fera quand même un passage au cabinet de Christian Estrosi comme chargée de mission. Un parcours exemplaire donc.
Elle présente donc l'émission assistée la plupart du temps de Nadia Daam en tandem avec un autre journaliste en rotation chaque semaine provenant de la rédaction du Figaro, Marianne, Le Monde, Slate ou France Culture. Ce qui nous permet donc d'avoir successivement Trémollet de Villers Figaro , Askolovitch Slate, Frédéric Says France Culture, Anne Rosencher L'Express (après avoir été déjà présente quand elle était à Marianne). Politiquement c'est encore plus paritaire mais aussi pluraliste qu'un gouvernement macroniste. De la Droiche. De la Droite. On est bien.
L'émission débute avec un invité venu pour présenter un livre/ un film/ une oeuvre. C'est du téléachat à portée culturelle et pédagogique très bien amené quand tu es chez toi entre le gigot et le fromage. Puis un débat PourContre. 28 minutes est très très PourContre.Quel que soit le sujet.
Mais surtout 28 minutes a des prismes idéologiques marqué sur certains sujets.
Elisabeth Quin parviendra ainsi durant la série d'émissions consacré au mouvement contre les Ordonnances Macron à ne jamais prononcer le terme d'intersyndicale, préférant résumer ce mouvement à la seule CGT présenté comme un syndicat minoritaire alors que l'intersyndicale était sur une ligne majoritaire si on tient compte des résultats des élections prudhomales précédentes. Concernant la question de l'incapacité des pays de l'Union Européenne (plus de 500 millions d'habitants de la première puissance économique mondiale) à faire face à l'afflux de migrants qui se révèlera en 2015 l'émission l'abordera de façon continue sous le prisme de la #crisemigratoire Celui ci vise à considérer que le problème ce sont les migrants. C'est un discours porté par l'extrème droite et qui se diffusera dans l'espace médiatique notamment grâce à des émissions comme 28 minutes
Au regard des intitulés que l'émission donne à ces débats, la question des migrants doit donc être envisagé comme étant une menace qui peut même mettre en jeu l'avenir des démocraties occidentales. (on passera sur le fait que ces migrants fuient souvent des régimes dictatoriaux installés avec la complicité de ces démocraties). Ce qui autorise donc à poser la question de la complicité des ONG qui viennent en aide à ces migrants alors que la Méditerranée pourrait être une barrière. ( Sachant que la même Méditerranée est devenue un cimetière pour des dizaine de milliers de migrants on admirera la décence du questionnement). On me dira qu'il faut pas tout résumer à des intitulés et que le débat peut se révéler plus nuancé. Mais alors pourquoi de façon aussi répété le sujet est il abordé sous ce prisme du "problème migratoire" sinon parce que c'est la ligne éditoriale de l'émission ? Pourquoi présenter les migrants comme un problème si c'est pour démontrer que ce n'est pas le cas, sauf à être malhonnête ?
Concernant l'extrème droite si l'émission peut diffuser son idéologie elle peut aussi accueillir cordialement ses membres. Regardons tout d'abord le cas de Charlotte d'Ornellas journaliste d'extrème droite, soutien déclaré du régime syrien, elle réalisera même un entretien avec Bachar el assad pour le site Boulevard Voltaire. Elle est plusieurs fois invitée rétribuée du Club de 28 minutes. L'émission l'assumera si bien qu'Arte lui consacrera même un tweet sponsorisé sans pour autant que ses engagements politiques soient détaillés sur le plateau
Pour des raisons inconnues Charlotte d'Ornellas sera remplacée sur le plateau de 28 minutes par Julie Graziani Militante de la manif pour tous elle est invitée sur le plateau en tant que journaliste de #Lincorrect, ( mais l'émission ne détaillera pas le fait que ce soit une publication proche de Marion Maréchal Le Pen dont le tirage doit être inférieur à certains bulletins paroissiaux). Mais en plus Julie Graziani va se sentir tellement en confiance qu'elle n'hésitera pas à tenir des propos racistes sur le plateau comparant le fait d'être noir avec celui d'être trisomique . Si cette déclaration suscite une réaction elle n'empêchera pas que Julie Graziani soit constamment réinvitée. Ceci même après avoir été licenciée de son journal pour avoir déclaré que quand on est une femme smicarde, il ne faut pas divorcer. On peut donc constater qu'elle est considérée comme trop extrémiste pour une publication d'extrème droite mais pas pour 28 minutes. Par ailleurs pour des raisons qui peuvent tenir au désir d'être rentrée chez soi à 19 H, 28 minutes est une émission enregistrée. La rédaction a donc tout à fait la possibilité ( c'est d'ailleurs arrivé au moins une fois pour les propos d'un chroniqueur qui en a été si peu choqué qu'il est resté dans l'émission) de couper des propos qui pourraient être choquants. Les propos racistes de Julie Graziani n'ont pourtant pas été considéré assez choquants pour être retirés.
Mais on peut aussi observer comment 28 minutes se positionne sur la question des mensonges à caractère islamophobes.
Dans le club de 28 minutes du vendredi 9 septembre 2016
Brice Couturier se fait l'écho à Toulon d'une agression de deux femmes et trois hommes qu'il attribue à une "police politique"
Cette émission a été enregistré la veille pour être diffusé le vendredi à 20 H. Comme l'explique l'article de arrêt sur images linké Brice Couturier évoque un article de Var Matin du jour. Sur le plateau Nassira El Moaddem la directrice du Bondyblog invite à la prudence sur le sujet. Dès le vendredi un article de Libération démontait la rumeur. Pris sur le fait Brice Couturier admettra s'être trompé dans un bel aveu sur ses pratiques journalistiques.
Pour autant il n'y aura aucune rectification sur le plateau de 28 minutes et le compte rendu du compte twitter évoquant donc une "police politique islamiste" est toujours présent sur le compte de l'émission malgré de multiples interpellations sur le fait que c'est un mensonge islamophobe. Brice Couturier continuera par la suite à être invité régulièrement.
(En faisant des recherches sur le sujet j'ai par ailleurs trouvé ce tweet de 28 minutes sur une émission antérieure ou Couturier évoquait des femmes qui provoquaient en portant des jupes longues. On a bien les polices qu'on veut)
Dans le même esprit Caroline Broué chroniqueuse de 28 minutes durant l'été 2017 reprend à son compte un récit diffusé par Marianne sur un groupe Facebook appelant à une baignade républicaine en bikini sur des plages algériennes (elle était déjà en avance sur l'idée que la république est une petite robe noire qui se porte avec tout). La rumeur sera démontée. Pourtant aucune rectification ne sera faite sur le plateau de 28 minutes ( pour l'anecdote Caroline Broué assure l'animation des matins de France culture chaque samedi avec une partie consacrée au décryptage du fonctionnement des médias).
On peut d'ailleurs évoquer ici la façon dont l'émission se positionne face aux critiques sur sa ligne éditoriale. Le 8 juillet 2016 l'émission reçoit Nassira El Moaddem la directrice du Bondyblog. Le site a produit une contre enquête démontant une reportage du Figaro dirigé par Guillaume Roquette, co animateur de l'émission ce jour là. L'émission choisit alors de déconsidérer la journaliste en glissant dans le portrait qui lui est consacré cette question " Bondyblog ne serait il pas communautariste ?"
Interpellé par plusieurs personnes le compte @28minutes aura cette réponse
avant de bloquer plusieurs contradictrices et contradicteurs puis d'effacer ce tweet et de les débloquer sans aucune explication. Ce qui témoigne d'un sens aigu du débat.
Mais revenons à Pascal Bruckner et 28 minutes. Car quand on creuse les liens entre ce monsieur et l'émission on peut constater qu'en plus de le présenter comme un philosophe, ce qui est audacieux, l'émission en assume régulièrement la promotion. En effet à au moins trois reprises 28 minutes organise des émissions qui ont pour objets le sujet même des livres que Pascal Bruckner vient de publier.
Je fais allusion à cet émission sur l'islamophobie
qui est organisée quand Bruckner publie un livre sur ce sujet
(on peut admirer dans la mise au point qui précède ce débat que la journaliste fasse comme si la question était de savoir si on peut ou non interdire de critiquer l'islam)
Mais aussi à cette émission sur la question de l'argent
qui va bien avec la publication du livre de Bruckner l'année précédente
(Edit du Dimanche 25 Octobre à 6 h 40 Via @de-Monballon sur Twitter Le modèle économique de Pascal Bruckner repose sur le fait d'entretenir sa notoriété pour assurer le succès de ses livres mais aussi celui de ses conférences
C'est d'ailleurs aussi le cas pour d'autres invités réguliers de l'émission comme Hubert Védrine ou Pascal Blanchard qui se servent de l'émission pour entretenir la notoriété de leur marque)
L'émission de 28 minutes sur la culpabilité de l'homme blanc est elle aussi motivée par la publication du livre de Bruckner sur ce sujet. Pour autant, quand on regarde l'émission, une série d'arguments de Bruckner (à 25"32) sur le fait qu'on peut taper sur l'homme blanc en toute impunité sont démontés en direct par Rokhaya Diallo ( que ce soit sur Nick Conrad ou sur Corleone ces propos ont entrainé des réactions vives). Face à ce débat Elisabeth Quin intervient à un moment sur une citation de Mazarine Pingeot par Pascal Bruckner pour préciser que celle ci est la fille de François Mitterrand. Une précision dont l'intérêt m'échappe quelque peu. Pourtant quand Pascal Bruckner accuse Rokhaya Diallo d'avoir "armé le bras qui a tué les 12 de Charlie Hebdo" personne sur le plateau n'intervient pour préciser qu'il fait allusion à une tribune que Rokhaya Diallo a signé aux côté de plusieurs autres personnes en 2011 en détailler le contexte et la portée et donc démonter le mensonge. Tout le monde sur le plateau laisse Rokhaya Diallo seule face à ces accusations et l'idée que Daesh détermine le choix de ses cibles sur des tribunes ( Elisabeth Quin intervient juste pour dire que Rokhaya Diallo a fait quelque chose par le biais de son association Les Indivisibles mais je n'ai fichtre pas saisi à quoi elle fait allusion). (Edit à 20 h 35 samedi 24 Octobre Via @Notkara sur Twitter elle fait allusion au procès fait à Pascal Bruckner par l'association Les Indivisibles pour ses propos tenus sur le plateau de 28 minutes quelques jours après l'attentat de 2015 contre les journalistes de Charlie Hebdo et en intentant déjà une part de la responsabilité à Rokhaya Diallo. Le tribunal a débouté l'association de sa plainte. Pour autant le tribunal n'a établit que le droit de Bruckner à tenir ces propos. Pas qu'ils reposent sur des faits).
Mais comme nous l'expliquera sur Twitter Askolovitch
Tant il est vrai qu'une accusation d'avoir inspiré un meurtre relève de l'exercice classique dans un débat. Nous sommes donc en Octobre 2020. On va gagner une heure de sommeil dimanche et le ciel vire encore un peu au brun.